Quoi que ce soit, cela n’est pas mien (N’etam mama)
Quoi que ce soit, je ne suis pas cela (N’eso’ham asmi)
Quoi que ce soit, cela n’est pas mon ego (Na me so attā)

Il y a un sans naissance, sans devenir, sans création, sans conditions
atthi ajātaṃ abhūtaṃ akataṃ asankhataṃ


CENTRE D’ÉTUDES DHARMIQUES

Créé au début des années 1960, le Centre d’Études Dharmiques ou Centre d'Études du Dharma (C.E.Dh.) est une association qui se consacre à l'étude et à la transmission du « Dharma du Bouddha ».


Qu’est-ce que le Dharma ?

Le mot sanskrit dharma (pāli dhamma) a des sens multiples [1]. Au sens large, les dharmas sont les phénomènes, tous les phénomènes, toutes les « choses » et toutes les existences vivantes, bref tout ce qui est « né, devenu, créé, conditionné », y compris donc ce qui perçoit les phénomènes, le sujet, le « moi » humain, l’ego et tous ses constituants.

Il est très difficile, voire impossible d’expliquer complètement par des mots ce qu’est le « Dharma du Bouddha », car il est au-delà de la dialectique et on ne peut accéder à toute sa subtilité et à toute sa profondeur que par une « connaissance d’au-delà des mots et des idées ». Cette connaissance suprême est appelée Prajñā en sanskrit (Paññā en pāli), mot qui doit être traduit, en suivant son étymologie pra- « au-delà » et JÑĀ- « connaître », par « Connaissance transcendante »[2] ou, en s’écartant de l’étymologie, « Intuition métaphysique », c’est-à-dire « Vue d’au-delà des phénomènes, Intuition transphénoménale ». Traduire Prajñā par « sagesse » ou, plus coquettement, par « sapience » (!) est une grave erreur qui, non seulement révèle une totale incompréhension du Dharma, mais encore rend impossible toute compréhension correcte.

Disons donc, pour simplifier, que le Dharma est le « support de l’ascèse » qui conduit à la Connaissance transcendante, à la vue de l’illusion de l’ego et à l’Inconditionné, l’Absolu, le « sans naissance, sans devenir, sans création, sans conditions » (sanskrit : ajāta abhūta akṛta asaṁskṛta). Précisons que le mot « ascèse » est employé ici dans son sens originel, venant du grec askêsis « exercice, pratique, entraînement », qui écarte, bien entendu, toute idée de mortification ou de pénitence.

Ce Dharma est certainement le seul à admettre les sceptiques et à leur proposer une ascèse acceptable sans a priori. Le mot « sceptique » vient d’une racine indo-européenne *skep , skop « regarder », probablement apparentée à la racine *spek « contempler, observer » ; il traduit l’adjectif grec skeptikos « qui observe, réfléchit (et n’affirme rien) »[3]. Or, le Dharma et son ascèse n’ont pas besoin de « foi », de croyances, de mythologies, comme le montre le Sutta aux Kālāmā (Anguttara Nikāya 3.65). Il peut donc intéresser les sceptiques « déçus du monde », les nostalgiques, celles et ceux qui peuvent ne pas croire (ou qui ne peuvent pas croire) à quoi que ce soit et qui, suffisamment déçus, insatisfaits, « désenchantés »[4], cherchent un moyen, une issue, une échappatoire, une possibilité de se libérer du « conditionnement » phénoménal, de l’emprise des choses, de l'emprise de leurs propres déterminants individuels…

Le Dharma est un « chemin » (mārga) atemporel (akāliko), mais qui se perd dans les périodes d’obscurantisme. Les Grands Éveillés, les Bouddhas retrouvent ce chemin et le montrent à ceux des autres humains qui peuvent comprendre. Il y a donc prévalence du Dharma et le dernier Bouddha plus ou moins historique, lui-même, loue, honore et révère ce Dharma plus que toute personne et toute autre chose (cf. Anguttara Nikāya 2, ch. III, 21).

Les trois hypothèses principales du Dharma.

Première hypothèse :

Le « moi », l’ego est illusoire et cette illusion est la source de tous les maux humains ; faire cesser cette illusion, éteindre le moi, l’abandonner, s’en libérer met fin définitivement à tout malheur, mal être, mal de vivre, insatisfaction, déception, nostalgie, etc. ; le Dharma résume ainsi cette proposition :

Quoi que ce soit, cela n’est pas mien (N’etam mama)
Quoi que ce soit, je ne suis pas cela (N’eso’ham asmi)
Quoi que ce soit, cela n’est pas un ego à moi (Na me so attā)[5]

Deuxième hypothèse :

« Il y a un sans naissance, sans devenir, sans création, sans condition » atthi ajātaṃ abhūtaṃ akataṃ asankhataṃ [6] (sanskrit : ajāta abhūta akṛta asaṁskṛta), autrement dit, il y a un Absolu, un Inconditionné, au-delà de tout phénomène quelque subtil qu’il soit, et cet Absolu est accessible ici et maintenant, par la cessation de l’illusion, l’extinction, « l’exsufflation » du moi (nirvāṇa), qui est abandon total, Béatitude de la totale vacuité (atyante śūnyatā), parfait et complet Éveil (samyaksambodhi).

Troisième hypothèse :

Il y a en toute existence humaine une possibilité de « Connaissance transcendante », Prajñā (pra- « au-delà », JÑĀ- « connaître ») ou « Intuition métaphysique », qui est une connaissance d’au-delà de la connaissance mentale, dialectique, intellectuelle, rationnelle (ce que le sanskrit nomme le vijñāṇa, la connaissance discriminative). Ce « pouvoir » (indriya), transphénoménal, énigmatique, paradoxal, au-delà du psychisme, indéfinissable, indicible, impossible à décrire autrement que par son influence, ses effets, peut « s’éveiller » et devenir une « force » (bala) qui fait « Voir » l’illusion des phénomènes, donc l’illusion du moi et qui, au plus haut, donne « accès » à l’Inconditionné, l’Absolu, abandon total de tout phénomène, donc du moi illusoire, sortie définitive de tout malheur, Éveil (Bodhi) des Arhats [7] et des Bouddhas…

Qui admet ces hypothèses et se détermine à les vérifier devient un dharmacārin [8] « celui qui va selon le Dharma ou qui chemine sur le Sentier dharmique », le « Noble Sentier Octuple » (āryāṣṭanga mārga), autre dénomination du Dharma.


[1] La racine verbale de dharma (dhamma en pāḷi) est DHṚ- (prononcer « dri »), qui signifie, selon le contexte, « tenir, soutenir, maintenir, porter, supporter, avoir, posséder, garder, préserver, employer, pratiquer, fixer son attention sur, restreindre, réprimer, résister, arrêter, supprimer, se décider pour, fixer, assigner ou conférer à, imposer, devoir quelque chose à quelqu’un, subir, être tenu, porté, se soutenir, rester, subsister, exister ». Dharma a donc de nombreux sens : nature d’une chose, qualité fondamentale, trait caractéristique, condition, phénomène(s), chose(s), constituant(s), constitution, rationalité naturelle ou cosmique, loi, loi morale, doctrine, dogme, principe(s), loi ou justice personnifiées, établissement d’un ordre, usage(s), coutume(s), pratique(s), norme(s), droit(s), devoir, justice, vertu, mérite. En seraient dérivés les mots latins firmus « solide, résistant, fort, ferme, durable, sûr, sur quoi l’on peut compter ou s’appuyer » et fretus « appui, secours ».

[2] Alexandra David-Néel fut la première à employer l'expression Connaissance transcendante quand elle a traduit du Tibétain le Prajñā Pāramitā Hṛdaya Sūtra, le Sûtra Cœur de la Perfection de Connaissance transcendante.

[3] Renseignements tirés de l’excellent Dictionnaire étymologique du français, par Jacqueline Picoche, aux éditions Le Robert (collection Les usuels du Robert).

[4] Dans les deux sens du terme : « qui n'est plus charmé, envoûté, séduit, trompé » et « qui a perdu ses illusions ».

[5] Il semble utile de préciser que « quoi que ce soit » signifie « quelque chose que ce soit » et non pas « bien que ce soit », car on assiste aujourd’hui à une confusion entre « quoi que » et « quoique ». Pour mieux comprendre cette proposition essentielle, on peut remplacer « cela » par un élément quelconque de son propre ensemble physiopsychologique, par exemple « ce corps n’est pas mien, je ne suis pas ce corps, ce corps n’est pas mon moi » ou bien encore « cette conscience n’est pas mienne, je ne suis pas cette conscience, cette conscience n’est pas mon moi ».

[6] Extrait du Nibbana Sutta (chapitre VIII.3 de l’Udana). La formulation sanskrite n’est pas attestée, mais elle est utile pour la compréhension car, contrairement au pāli, le sanskrit montre l’étymologie de ces mots. Ainsi, le terme sanskrit saṁskṛta, correspondant au pāli sankhata, est formé de saṁ « avec, ensemble » et kṛta « formé, composé, confectionné... », du verbe KṚ-, karoti « faire, créer, fabriquer, etc. » On pourrait donc traduire également asaṁskṛta (asankhata), où le a- initial marque l’absence, par « sans-formation, sans-composition, sans-confection... ».

[7] Mot à mot « digne, digne de respect ». Est Arhat celui ou celle qui a « atteint » le quatrième et dernier degré d’abandon irréversible des dix liens qui lient l’existence humaine à sa condition illusoire : croyance en un moi, doute stérile, attachement aux règles éthiques et aux cérémonies, convoitise pour les plaisirs des sens, agressivité, désir d’existence dans le monde de la forme subtile, désir d’existence dans le monde sans-forme, orgueil, agitation et distraction (restes), absence de « vue juste » (reste).

[8] Prononcer « dharmatcharine ».


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